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19 juin 2019

Regards croisés sur les défis de l'alimentation du futur

Pascale Hébel, directrice du Credoc / P85
“Devant le refus de modifier la nature, il faudra réinventer toutes les innovations pour  aller dans le sens du bien-être humain.”

La protection de l’environnement et le bien-être animal sont deux préoccupations qui progressent fortement dans la société française. Nous assistons à une accélération du changement des normes et des représentations alimentaires, portées par les élites. Ce qui est discriminant aujourd’hui, c’est plutôt le diplôme que le revenu. Les « Hauts Capitaux Culturels (HCC) » vont porter des discours
sur les types d’aliments qu’il faut consommer auprès du reste de la population  Le monde agroalimentaire est un monde scientifique avant tout qui a du mal à appréhender les aspects non rationnels des comportements consommateurs. Le défi pour les entreprises qui produiront l’alimentation du futur, c’est de changer avec les consommateurs.

Hervé Lecesne, PDG de Nactis Flavours / G70
“Par rapport aux différentes attentes sociétales, il faudra restaurer la confiance avec le consommateur.”

Entre le food bashing qui joue sur le court terme et l’industrie qui travaille sur le long terme, il faut montrer davantage notre environnement de production et ouvrir nos usines. Il ne faut pas oublier que c’est le consommateur qui a toujours raison avec les produits qu’il achète. Deux données importantes sont aussi à prendre en compte : la baisse constante de l’achat alimentaire dans les ménages et le vieillissement de la population française : 1 Français sur 3 aura plus de 50 ans en 2050. Avec le big data, le profil alimentaire de chaque individu pourra être pratiquement connu. Nous nous dirigeons vers des marchés hypersegmentés. La publicité sera de plus enplus digitale et va s’adresser à des publics de plus en plus homogènes sous forme d’annonces beaucoup informationnelles et  qualitatives.

Céline Laisney, directrice d’Alimavenir
“Les produits devront se réinventer pour avoir de meilleurs profils nutritionnels.”

Les produits alimentaires du futur à inventer doivent être à la fois nutritifs, faciles à produire à proximité de là où ils seront consommés (donc ce ne sera pas les mêmes partout) et surtout avec un impact environnemental réduit au maximum. En même temps, ils doivent être adaptés aux habitudes culinaires des populations auxquelles ils s’adressent et à leurs pratiques alimentaires (praticité, pas trop
d’exotisme). Pour les produits déjà existants, le défi est de se réinventer pour avoir un meilleur profil nutritionnel (enjeu du surpoids et de l’obésité, et du manque de diversité alimentaire en général) ainsi que pour limiter là encore leur impact sur l’environnement (processus de production et packaging compris). C’est dans beaucoup de domaine l’enjeu de la montée en qualité, tout en restant accessible à l’ensemble de la population.

Dominique Paturel, chercheuse à l’UMR Innovation (Inra Montpellier)
“Il faudra mieux penser la complémentarité entre les circuits courts et les circuits longs.”

L’alimentation est le facteur d’injustice le plus fort, mais aussi le plus invisible. Selon une étude de l’Anses parue en 2007, près de 12 % de la population française est en situation de précarité alimentaire. Il est donc essentiel de réfléchir à des moyens de nourrir la totalité de la population pour atteindre plus de justice et de démocratie alimentaire.

Une part croissante des consommateurs est certes prête à payer plus cher pour des produits de qualité, mais il reste aussi une large part pour laquelle la question du pouvoir d’achat est une réelle contrainte. Il ne s’agit pas de réserver les circuits courts pour les plus aisés, mais bien d’articuler à l’avenir les circuits courts et les circuits longs. Le défi est que tout le monde puisse comprendre le système alimentaire et ses enjeux, et à terme, avoir le choix de son alimentation et des circuits d’approvisionnement.

Lorenzo Giovanni Bellù, Chef d’équipe à la FAO sur les études prospectives mondiales
“Une alimentation durable est possible dans le futur mais elle ne sera pas gratuite. ”

Le défi pour l’alimentation du futur n’est pas seulement un problème de production agricole, c’est aussi l’accès à la nourriture pour l’ensemble des femmes et des hommes vivant sur la Terre. Jusqu’à aujourd’hui, les politiques dans beaucoup de pays ont permis l’accès à une alimentation bon marché, grâce à la mise en place de politiques agricoles visant à l’accroissement des rendements. Mais les coûts de production réels comme la  surexploitation des sols, de l’eau, des émissions de gaz à effet de serre, et donc des coûts environnementaux n’ont pas été intégrés à l’intérieur du prix final des produits agricoles et de la nourriture.

Au global, sur les dernières décennies, l’accessibilité de l’alimentation a augmenté grâce au prix bas, mais la durabilité a été négligée. Ce qui veut dire qu’à l’avenir, le prix de l’alimentation pourrait augmenter si nous voulons refl éter dans les prix le coût réel des ressources naturelles et atteindre les objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Si cette dynamique des prix va se concrétiser, une redistribution équitable des revenus devient
de plus en plus urgente si nous voulons garantir un accès équitable à la nourriture pour tous.

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